Interview  Jean Luc Menet


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 En tant que responsable d’une filière en apprentissage, pensez-vous qu’il y une différence de maturité entre un apprenti et un étudiant de formation initiale ?

A l’évidence oui, pour la plupart des apprenants du moins. L’approche terrain et la co-formation (entreprise et centre de formation) sont essentiels à la mise en place et au mûrissement du projet professionnel du jeune. De ce fait, il y a un questionnement perpétuel et une meilleure appropriation des sujets traités soit en entreprise soit en centre de formation en vue de leur complémentarité. Un apprenti voit davantage l’intérêt d’une matière enseignée s’il constate en même temps qu’elle est une préoccupation de l’entreprise, ce qui l’incite généralement à approfondir et en tout cas à s’intéresser à cette matière.

Inversement, Une préoccupation constatée en entreprise fait régulièrement l’objet de questions aux intervenants dans le cadre de leurs enseignements. Enfin, l’entreprise est à l’évidence un terrain d’application idéal des cours en général. L’ensemble procède d’une formation plus aboutie en termes de connaissances (y compris pour la partie en entreprise) mais aussi de compétences, ce qui conduit à une meilleure adéquation de l’apprenant avec les préoccupations de l’entreprise et donc à se maturité. Ces affirmations sont corroborées par un taux d’insertion moyen meilleur pour les apprentis que pour les étudiants en formation initiale.

Un apprenti a-t-il plus d’envie, de motivation concernant son avenir professionnel ?

La plupart des éléments détaillés ci-dessus demeurent valables. Le projet professionnel est généralement plus abouti et en tout cas plus précoce pour les apprentis. Il faut cependant mettre un bémol. En effet, les apprentis ont déjà une vision assez aboutie de leur projet professionnel avant même d’accéder à ce statut et c’est généralement la raison pour laquelle ils d’y intéressent en amont.

Très tôt, ils ont intégré le fait que l’apprentissage est une méthode de formation adaptée à leur projet professionnel et permettant une meilleure acquisition de compétences. Pour dire cela autrement, les apprentis ont davantage de motivation pour leur avenir professionnel, y compris dans leur confiance à s’insérer, mais cela n’est pas systématiquement une conséquence directe de l’apprentissage : ce serait plutôt l’apprentissage qui conforte leur motivation pour l’apprentissage…

Selon vous, comment la formation en apprentissage apporte-t-elle une meilleure compréhension du milieu du travail et favorise l’adhésion à une équipe dans l’entreprise ?

Indéniablement. Les raisons évidentes sont déjà exprimées ci-dessus, mais la formation “sur le long cours” permet aussi cela. Il est en effet plus facile d’adhérer à un projet d’entreprise, de participer à des projets d’équipes, de piloter ces équipes ou des projets si l’apprentissage se fait sur plusieurs années.

Lors d’un stage, l’étudiant a généralement une ou deux missions à effectuer. En apprentissage, l’apprenti vit au rythme de l’entreprise, même quand il est en centre de formation (du moins avec les rythmes d’alternance que nous proposons à Valenciennes) de sorte qu’il reste en contact quasi-constant avec les équipes dans lesquelles il est intégré, ce qui facilite d’une part l’apprentissage progressif (il passe de missions opérationnelles à des missions d’encadrement) et d’autre part et d’autre part l’appropriation des projets en cours.

A votre avis, comment les apprentis deviennent-ils acteurs de leur parcours professionnel ?

Pour ce qui concerne le Master QHS de Valenciennes, outre les éléments déjà évoqués, je dirais qu’il y a en plus le fait que nous avons mis en place une structure de double tutorat actif dans le cadre de la période en entreprise. L’idée est que le maître d’apprentissage et le tuteur pédagogique soient au plus près de l’apprenti pour l’accompagner dans sa démarche mais surtout que l’apprenti soit au cœur de cette démarche.

Autrement dit, c’est à l’apprenti qu’il revient de gérer son alternance, de proposer des réunions, de se remettre en cause, de demander conseil, et ce jusque dans le choix des sujets qu’il a à traiter. En effet, l’entreprise a tout intérêt à s’entourer d’apprentis qui ont des compétences dans un domaine donné et de favoriser toute initiative qui permette de faire avancer un projet, le tout en restant à l’écoute d’idées nouvelles, un jeune apportant généralement non seulement du “sang neuf” mais surtout de nouvelles idées du fait de sa prise de recul que nous encourageons et évaluons.

Pouvez-vous faire un lien entre entreprenariat ou l’esprit entrepreneur et l’apprentissage ?

Le lien, pour moi, n’est pas évident. L’esprit d’entreprendre est généralement propre à l’individu. J’inverserais plutôt le paradigme. Je pense que les apprenants qui font le choix d’être apprentis ont déjà un esprit d’entreprendre, ce qui se constate simplement par la recherche d’entreprises d’accueils, le travail du CV, etc. Ensuite, la formation par apprentissage leur donne les outils pour donner libre cours à leurs idées. L’esprit d’entreprendre n’est d’ailleurs pas uniquement lié au milieu professionnel.

On constate que nombre de projets, même d’ordre pédagogique ou citoyen, sont réalisés par des apprentis. On constate aussi que les apprentis, dans le cadre des projets pédagogiques, font généralement un travail de meilleure qualité. L’apprentissage permet cela car le meilleur moyen d’entreprendre est d’apprendre au sein d’une entreprise qui vous forme en même temps qu’elle vous intègre à ses équipes. Mais je dirais surtout que la formation par apprentissage permet aux apprenants ayant déjà cette fibre de l’entrepreneuriat de la développer.

A l’ENSIAME, encouragez-vous l’esprit entrepreneurial chez vos étudiants ?

Pour le Master QHS, nous l’encourageons par exemple par le biais de projets collaboratifs qui constituent une part importante de notre enseignement. Ces projets sont à la fois un apprentissage de la gestion de projet et des projets réels concrets, et qui doivent mettre à profit l’esprit d’entreprendre, l’innovation, la créativité, etc. Les clients sont soit internes au Master, soit des services de l’université qui ont des demandes spécifiques ou plutôt des besoins. Par exemple, les apprentis du Master QHS organisent depuis plusieurs années la Journée Environnement et Développement Durable (JEDD) de l’ENSIAME, ou encore un magazine professionnel lié au QHSE, des cycles de conférences liées au domaine, des formations à la prévention, etc.

Un autre volet est l’encouragement. Ainsi, dès qu’un projet émerge d’un groupe, nous mettons tout en œuvre, avec le Hubhouse de l’université de Valenciennes, pour permettre son aboutissement. Dans le cas de projets plus personnels, par exemple le 4L-trophy, nous aidons financièrement les équipes et surtout nous leur donnons les moyens de les mettre en œuvre en adaptant leur emploi du temps. Le règlement de scolarité encourage l’esprit d’entreprendre et la citoyenneté par la mise en place d’un bonus spécifique sur la moyenne.

Avez-vous des étudiants qui sont ou qui souhaitent devenir entrepreneurs ?

C’est le côté le plus difficile à évaluer. Ces étudiants existent mais ils sont rares. Généralement (un à deux par an, peut-être moins), ce sont ceux qui ont déjà une idée en tête, ou un projet qui mûrit au cours de leur scolarité. Via le Hubhouse, nous les y aidons mais nous n’avons pas forcément de retour. Nous constatons cependant, en Master QHS, un certain nombre de projets professionnels où apparaît le désir d’être consultant, expert, ingénieur conseil ou auditeur etc., bref le souhait d’un certain nombre d’étudiants d’être “à leur compte” et non pas employés par une entreprise sur des missions QHSE.

Mais cela dépasse le statut d’alternance. Il ne semble pas qu’il y ait davantage d’entrepreneurs chez les apprentis. Au contraire, dès lors que l’apprentissage favorise l’insertion comme énoncé plus haut, nombre d’apprentis choisissent cette solution “de facilité” plutôt que de mûrir et monter un projet d’entreprise ou d’entrepreneuriat, le secteur visé (le QHSE au sens large) ne s’y prêtant d’ailleurs que moyennement.